Toute négociation se débriefe. Cela fait partie des règles de base. Une épreuve sportive, telle qu’une course longue distance se débriefe-t-elle, elle aussi ? La Réponse est : Oui.
Cet épisode est le dernier épisode de la série « Négociation et course de fond ». Pourquoi le dernier ? Car l’objectif était de vous montrer les liens entre la préparation, la conduite, le débriefing de la négociation et la préparation, l’exécution et la récupération d’une course longue distance. Quel était l'intéreêt de cette négociation ? La réalisation du parcours de 78 kms de l’ultra trail « la Saintélyon » édition 2023.
Un mois après l’épreuve, quel débriefing à froid, à tête reposée, peut être fait ? Nous vous proposons une retranscription écrite d’une conversation entre Adrien et moi-même, sur notre ressenti d’après course :
A : Alors ??? Ça y est, tu l’as faite !!!!! Bravo.
M : Merci, bravo à toi également. Cela n’a pas été une mince affaire, mais on l’a fait.
A : En effet… Comment débrieferais-tu cette course ?
M : A la manière d’une négo finalement… Si j’optais pour un débriefing par la globalisation, je commencerais par l’idée d’origine… Cela fait 3 ans que tu m’en parles. 3 ans que tu me dis qu’il faut que j’y aille avec toi… J'ai enfin passé le pas et je suis content de l’avoir fait. On l’a déjà bien verbalisé lors du passage sur la ligne d’arrivée. Le sentiment de l’objectif accompli, c’est tout de même quelque chose. On y reviendra lorsque l’on parlera des 3 conditions pour qu’une négociation soit réussie. As-tu ressenti la même chose ?
A: Mon premier ressenti est d’avoir pu partager cette préparation et cette course avec toi. Effectivement depuis 3 ans, nous en avons parlé, j’ai essayé de te convaincre avec plus ou moins de réussite. Je t’ai plusieurs fois titillé sur ton estime de toi et ta confiance dans la réalisation de ce trail. Et je suis cent pour cent d’accord avec toi sur le sentiment d’objectif accompli. Lorsque tu termines ce type d’évènement ton IPC (Indice Personnel de Confiance, qui correspond à ton appétence à l’incertitude) évolue de façon positive et excuse-moi du terme, c’est le kiff !!!
M : Revenons à la préparation. Une négociation réussie, c’est 70% de préparation et 30% de négociation en live, moment pendant lequel on fait un mélange d’improvisation, d’intuition et d’adaptation. Pour cette édition de la "Sainté", je crois qu’on y était en plein. J’avais quelques craintes forcément. Je reste humble face à la difficulté de la course. Mais je m’étais préparé. Je n’avais pas trop de craintes concernant le dénivelé, que j’avais travaillé rigoureusement pendant la préparation. J’avais plus de craintes concernant la longueur, 78kms, qui me semblait terriblement longue. Je n’étais « que » marathonien avant cela, et il fallait tout de même y rajouter 36 kms de plus, avec le dénivelé en prime. Sur le papier, ça ne faisait pas rêver.
A : Je t’ai seriné plusieurs fois que tu en étais capable. Tu t’écoutes trop et minimises tes points forts.
M : Bien sûr que tu me l’avais dit… Je te répète souvent que tu es trop entreprenant pour moi. Et parfois tes jugements bloquent la discussion. En tous les cas, ne me font pas avancer dans mon cheminement. Malgré tout, j’imagine que le résultat est un mélange de prise en compte de tes propos « trop entreprenants » et ma volonté de me dépasser.
A : Ah tiens… Justement… Dans une négo, il y a toujours ce triptyque de départ : Position – Intérêts – Besoin. Et si tu te souviens bien sur la ligne de départ le speaker annonce toujours : » N’oublie jamais pour Qui ou Pourquoi tu cours ? » Alors tu peux le dire maintenant c’était quoi ton besoin ?
M : Reprenons le triptyque comme tu l'as décrit : Ma position, c'était je me met sur la ligne de départ du parcours 78 kms. Mon intérêt, c'était de terminer la course. Mon besoin, c'était clairement, la volonté de me tester, de sortir de ma zone de confort. Et sur ce point, je peux dire que j’ai réussi. J’ai augmenté ma zone de sécurité, développé ma confiance en moi, et réalisé quelque chose dont je sais qu’une partie minimale de la population est en mesure de réaliser. Même si, cela, je n’en ai pas pris conscience tout de suite.
A : Ah bon ?
M : He bien oui… Souviens-toi… Je franchis la ligne d’arrivée. Là, c’est l’effervescence. Je récupère mes affaires, et surtout, j’essaye de survivre car mon corps, qui comprend que l’effort est terminé, me fais comprendre que j’ai beaucoup forcé. Il fallait donc gérer la douleur aux jambes post course. Pas le temps de tout assimiler. Ce débriefing à chaud, nous a permis d’assurer le defusing. Comme en négo finalement. On a verbalisé nos émotions, chacun de notre côté… Mais ça en est resté là, de mon côté. On est rentré. On s’est couché. Et ce n’est que le lendemain, pendant le petit déjeuner, qu’on s’est regardé dans les yeux en se disant « ok… On l’a fait, et… Ce n’est pas rien ».
A : C’est vrai, je m’en souviens très bien. Et particulièrement le mal aux jambes.
M : Comment as-tu vécu cette phase-là ?
A : Suite à l’abandon de l’année dernière ; l’important pour moi était de terminer la course. On peut toujours mieux faire, certes, mais l’essentiel, en tout cas pour moi, est de s’améliorer à chaque fois. Devenir une meilleure version après chaque course.
M : Cette notion de devenir une meilleure version de moi-même est un mantra personnel. Et je suis convaincu que la finalisation de cette course est une conséquence de ce mantra. Toute notre préparation a suivi ce mantra. Se démener, aller plus loin, plus haut, se tester, tomber et se relever et à la fin, savoir que tu l’as fait.
Je poursuis également ce mantra quand je prépare et mène mes négociations : Développer ses compétences pour adapter son discours, gérer la complexité des profils que tu as en face de toi, réfléchir sur les techniques à mettre en place pour passer d’une stratégie de compétition à une stratégie de coopétition. Et à la fin, débriefer du résultat accompli, confirmer que l’on a surpassé le conflit pour amener une solution qui satisfait l’ensemble des parties. Cette volonté, liée également à une volonté d’apprentissage permanent, de curiosité qui fait partie intégrante de ma personnalité, tout ça constitue une véritable volonté de devenir une meilleure version de moi-même.
A : Tout à fait d'acord. Et ce genre de course nous enseigne à rester concentré et calme, même quand les conditions sont chaotiques. C’est crucial en négociation, où garder son sang froid peut faire la différence.
M : Je reviens sur la préparation. Parce qu’il y un point que je reproche souvent aux organisations de ce type d’évènement, c’est l’image de facilité qu’elles renvoient notamment lorsqu’elles publient les vidéos « souvenirs de la course » avec des coureurs souriants, des traileurs qui courent dans les côtes, de la musique entrainante, etc… Il ne faut pas oublier que ce parcours de 78 kms, est un parcours très difficile, extrêmement exigeant, et que non, ce n’est pas aussi simple que cela parait dans les vidéos marketing. Tout comme en négociation, et c'est aussi ce que l'on a rappelé dans l'épisode 6, on ne nait pas négociateur ou ultra-traileur, on le devient.
A : C’est vrai que ce type de course demande une préparation exigeante, tant en terme physique que moral. Et puis, il faut également compter sur un soutien de l’environnement familial qui subit les absences pendant les sessions régulières et parfois très longues.
M : Comme dans une négo, l’équipe est primordiale. Il faut avoir une confiance absolue envers ses coéquipiers de négociation. A la fin, la victoire est collective même si la performance sur le terrain, est individuelle. Une négociation se prépare à plusieurs. Mais à la table de négo, on est 2 ; voire parfois… On est seul.
Sur une course longue, la situation est identique. La préparation est collective. Mais sur le parcours de la course, tu es seul face à toi même.
A : Tout ça, c’est bien joli, mais tout n’était pas parfait tout de même…
M : Non !! Bien sûr… Par exemple, si ma préparation m’a permis de finir la course, je sais que cette même préparation aurait pu être bien meilleure. Je sais notamment que j’aurais dû parfaire la partie « renforcement musculaire ». Je sais aussi qu’en terme de gestion de l’effort, gestion de l’alimentation, la situation est perfectible. Il y a également les « étapes » pour arriver à la course et la réussir. Tout comme une négociation se fait en plusieurs rounds, une course se termine après plusieurs étapes. Peut-être que plus de trails de préparation auraient permis une meilleure course finale. De ton coté, qu’as-tu appris sur ta gestion de la course ?
A : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Cette devise de Socrate résume ma gestion de course. Je te confirme que ma préparation liée au renforcement musculaire aurait dû être plus consistante. En revanche ma stratégie de préparation, adaptée à l’incertitude du climat et du terrain, à la complexité de courir de nuit a été la bonne pour mon plan de course et cela m’a permis d’accélérer sur les 20 derniers kilomètres.
Finalement peut-on dire que c’était réussi ?
M : Une négociation réussie doit respecter 3 critères :
- Tu dois satisfaire ton besoin
- Il faut que les règles aient été respectées par l’ensemble des parties
- Tu dois aboutir à un accord qui soit juste pour l’ensemble des parties
A titre perso, j’ai clairement satisfait mon besoin. Je me suis dépassé, je suis sorti de ma zone de confort, je me suis testé physiquement comme jamais je ne l’avais fait auparavant.
J’ai fait une course en respectant les règles. Je n’ai pas triché (pas comme le coureur accusé de triche sur le parcours des 16 kms et finalement disqualifié). Les organisateurs de la course n’ont pas triché non plus, pas de modification de parcours au dernier moment, pas de ravitos en moins, tout était très bien réglé.
L’accord est-il juste ? Est-ce que je considère que le prix que j’ai payé pour avoir un dossard est équitable au regard de l’expérience vécue ? Oui.
Les 3 conditions sont remplies. Ma négo « Saintélyon » est donc une réussite.
Qu’en est-il de ton coté ?
A : Alors je te rejoins sur plusieurs points, mon besoin principal de mobiliser ma combativité et mon engagement personnel à finir cette course, FAIT.
Je suis resté sérieux en cohérence avec mes valeurs et j’ai suivi un plan d’entrainement pour terminer la course, par conséquent règles respectées, FAIT.
Enfin, j’ai eu le plaisir de te voir réussir et te partager cette expérience avec toi, Accord plus qu’aboutit.
Pour conclure j’aimerai vous faire partager cette citation de Michael Jordan : « Certains veulent que ça arrive. D’autres aimeraient que ça arrive. Et les autres font que ça arrivent. ». Bonne continuation et n’oubliez pas la vie est une fête.
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