Mise en page du blog

Episode 9 - Négociation, ultratrail et physique quantique

Episode 9 - Négociation et physique quantique

Quand la physique quantique rencontre le monde de la négociation et de l’ultra trail.


En revenant du dernier opus de Christopher Nolan, Oppenheimer, j’ai longuement discuté sur les fondements de la physique quantique. Ne me rappelant que de quelques bribes de mes années de lycée, j’écoutais mon interlocuteur avec attention, me rappelant à mes bons souvenirs les concepts de ce monde mystérieux. Et puis au fil de la discussion, le chat de Schrödinger est sorti de sa boite, et un atome a créé une superposition d’états dans ma tête, passant de l’incompréhension de l’expérience du physicien allemand à la mise en image de la relation entre l’incertitude[1] et la prise de décision[2] que l’on retrouve dans une négociation ou dans un ultra trail. Je me suis penché un peu plus sur le phénomène et pris le temps de me documenter. Puis en regardant cette excellente vidéo « Chats de Schrödinger & Décohérence quantique » de @scienceEtonnante[3], sur lequel l’auteur décrit également l’expérience des doubles fentes de Young , une nuée de neutrons a alors bombardé chaque recoin de mes pensées.


Avant de vous expliquer plus en détail la fission qui a éclairé ma réflexion sur les analogies de ces principes, laissez-moi vous rafraichir un peu la mémoire sur ses expériences quantiques.


L'expérience du chat de Schrödinger raconte ce qui suit : Imaginez le Chat Potté enfermé dans sa boîte, avec un mécanisme déclenché par un atome radioactif. Si l’atome se désintègre, le mécanisme joue la mélodie de sa guitare. Si l’atome ne se désintègre pas, nous n’entendons rien.


Dans le monde parallèle de la physique quantique, tant que nous n’ouvrons pas la boite pour écouter, l’atome est à la fois désintégré et intact au même moment. De façon plus explicite, cela signifie que le Chat Potté joue de sa guitare mais reste silencieux en même temps (vous me suivez toujours ?) jusqu’à ce que nous décidions d’ouvrir sa boite pour le regarder jouer ou pas.


Cela ne vous rappelle-t-il pas que notre réalité peut être bien plus nuancée qu’elle nous parait ?


L’expérience des fentes de Young consiste en ce qui suit : Imaginez Zinedine Zidane face à deux défenseurs de l’Italie (Materazzi et Cannavaro), alignés côte à côte, formant deux passages distincts vers le but. A chaque tentative Zidane s’élance vers eux avec le ballon. Dans mon monde parallèle, inspiré de la mécanique quantique, chaque fois que Zidane dribble, il nous semble qu’il passe à travers les deux passages simultanément, créant un motif d’interférences dans ses mouvements sur notre téléviseur.


Ce phénomène mystérieux illustre la nature énigmatique et non intuitive, où nos règles du jeu quotidiennes semblent soudainement s’inverser.


Quel lien avec la négociation et l’ultra trail ? Tout comme une particule qui reste dans un état incertain jusqu’à ce qu’on l’observe, la dynamique d’une négociation ressemble à une barque sur une mer d’incertitude. Chaque partie prenante apporte ses propres intérêts, ses priorités et sa propre vision de la valeur. Jusqu’à ce qu’un accord soit conclu, le résultat potentiel est une « superposition », oscillant entre de multiples issues possibles.


Chaque discussion, interaction ou proposition peuvent être représentées comme des « observations » influençant et modifiant la finalité de notre accord. Tout comme l’observation en physique quantique qui influence une particule, chaque avancée dans la négociation rapproche les parties d’un accord, modifiant progressivement le paysage des possibilités.

Finalement, la négociation aboutit à une situation donnée (un accord) due à un chemin donné (pavé de discussions), sans qu’aucune partie prenante ni aucun observateur extérieur ne sache de manière incontestable ni pourquoi, ni comment. En effet, la négociation comporte une très grande part de secret, empêchant les négociateurs d’évaluer réellement la qualité d’un accord. On applique la règle que tout négociateur se doit de respecter : Respecter la différence entre l’effet perçu et l’effet réel.


L’observation quantique génère en quelque sorte le même vertige. La particule contrôlée est là quand on la voit. On en connaît l’état mais pas le parcours. Par où est-elle arrivée ? à quelle vitesse ? d’où vient-elle ? Ou pire : n’existe-t-elle que parce qu’on l’observe ? Appliquées à la négociation, ces questions doivent rendre humble le négociateur : ai-je obtenu ce que je voulais ou seulement ce que mon interlocuteur m’a accordé ? est-ce un bon accord ou seulement un accord de facilité ? est-ce un accord réellement avantageux ou le perçois-je comme avantageux par le simple fait que je l’ai négocié et obtenu ?

 

Participer à une course longue distance est une aventure ponctuée d’incertitude, à l’image des phénomènes énigmatiques de la mécanique quantique où les particules peuvent exister simultanément dans plusieurs états, un coureur d’ultra navigue constamment entre des états de fatigue, de doute (Episode 8) de détermination. Lorsque nous relevons le défi d’un marathon, il est presque impossible de prévoir avec précision « le mur » qui va nous mettre dans un état de fatigue extrême, par exemple. La majeure partie des runners s’embarquent dans des courses toujours plus extrêmes, sans avoir une vision claire de ce qui les attend.


En réalité, qu’il s’agisse de physique quantique, d’une course extrême ou d’une négociation, il est essentiel de savoir naviguer dans l’incertitude, d’anticiper, d’être adaptable et de persévérer. Il semble indispensable également d’accepter la maîtrise seulement partielle des choses et des évènements. Alors dans notre monde en constante évolution, comment pourrions nous appliquer les principes de la physique quantique pour mieux sillonner vers l’inconnu?

 

 


[1] https://www.signal-negociations.fr/blog/incertitude-dans-tout-ca

[2] https://www.signal-negociations.fr/blog/prise-decision

[3] (654) Chats de Schrödinger & Décohérence quantique - YouTube

par Mathieu Puech 8 janvier 2024
Episode 10 : L'importance du débriefing
par Mathieu Puech 27 septembre 2023
Le doute m’habite. Sous ces faux-airs de teaser putaclick se cache un véritable questionnement. Et si je n’en étais pas capable ? Et si je n’arrivais pas à terminer la Saintélyon ? Et si je n’arrivais pas à aboutir à cette négociation ? C’est la rentrée, et pour recommencer un cycle d’apprentissage et de découverte, il me semblait intéressant de vous partager mon inquiétude du moment. Le doute. Comment est-il arrivé à moi ? Début mai, je fais le marathon de Pragues. Suite au marathon, la récupération se passe très bien. Je repars courir. Mi-juin, je fais une sortie dominicale avec des amis à Avignon. Et là… BAM… Le coup de mou. Je ne tiens pas 20 minutes. L’incompréhension. La chaleur ? J’ai déjà couru sous des températures estivales. Le repas festif de la veille ? J’ai déjà fait des sorties décrassages d’après fêtes (ce sont des sorties que j’aime beaucoup d’ailleurs. Elles sont difficiles mais quel soulagement une fois terminé de se dire qu’on pu éliminer un peu de surplus englouti la veille). Un peu de fatigue ? J’ai bien dormi pourtant. Je n’ai pas de réponse… Et là, je focalise… Dans 6 mois, j’ai un trail de 78 kms… Et je bloque. Je doute. Mais comment en suis-je arrivé là ? Qu’est-ce qui m’arrive ? La peur entre dans mon esprit sans aucune ambiguïté, en enfonçant la porte de mon inconscient et en lui disant haut et fort : « je suis là !!!! » Que fait donc la peur ici ? Comment la définir ? Comment la gérer ? Dois-je faire face ? Comment y faire face ? La peur est une émotion de protection et d’anticipation générée par un stimulus perçu comme dangereux ou menaçant pour son équilibre [1] . Elle est indispensable à la survie de l’individu. Sans peur, on ne vivrait pas plus de 5 min. On traverserait la rue et on se ferait percuter par une voiture. La peur permet d’informer l’organisme sur l’existence d’un danger potentiel, augmentant ainsi la vigilance afin de protéger l’intégrité de l’individu par une réaction adaptée. C’est une émotion qui déclenche de façon autonome des réponses physiques, comportementales et physiologiques de survie ou de préservation dans un but défensif. C’est une émotion importante à repérer car elle porte sur 2 types de situations : - L’effroi et la terreur. - L’appréhension. Si on voit les craintes et appréhensions, on est capable de permettre à l’autre d’accéder à la possibilité pour l’autre de limiter la peur. La peur invite soit à la fuite, soit à l’affrontement. La peur est essentielle à notre survie. On ne peut donc pas l’esquiver. Si on ne peut pas l’esquiver, alors il faut l’accompagner. Faire « de la peur votre alliée ». Cela veut dire quoi ? et surtout comment faire ? Parce que dire cela dans une salle face à vous, c’est facile. Mais en vrai… Dans le cadre de la gestion de vos propres émotions : lutter contre la peur est stérile. Mais elle doit être une mise en condition qui nous donne suffisamment d’énergie pour passer à l’action. Il y a 2 types de peur [2] : - La peur due à la projection - La peur due à l’action. La peur due à la projection doit être combattue par l’acceptation. Le temps est passé. J’ai refait quelques sorties qui me confirmaient ce sentiment bizarre, incompréhensible de perte drastiques et rapide de performance. J’ai alors laissé passer le temps. Les vacances scolaires sont arrivées à point nommé. Pas de sortie running pendant l’été. Par contre, on remonte la pente, et on se « teste » sur d’autres sujets. Nage tous les matins pendant 45 min dans un lac. Ça fonctionne. Le cardio fonctionne bien. Les sensations sont bien présentes. Je suis bien. Dernière semaine de vacances, à la montagne. On fait du dénivelé. Le cardio fonctionne bien également. Aucun symptôme. Ouf… ça rassure. Ce n’est pas encore parfait, mais je me rassure comme cela. La peur de la projection se place ici même, au moment où je me dis que ce satané ultratrail, je ne vais jamais y arriver. Et je franchis le pas de la reprise du sport. Progressive certes, mais reprise quand même. Et vient alors le soulagement. C’est lors de la reprise que la peur due à l’action intervient. J’ai accepté mon état émotionnel de peur. Et lorsque j’ai vu comment en réalité, l’action s’est passée, au debriefing, je me suis vraiment rendu compte que cette peur-là complétait ma préparation. Elle m’a permis d’affronter l’action. Une préparation rigoureuse ne vous empêchera pas d’avoir peur de l’action. Cette préparation rigoureuse vous permettra alors de la diminuer lorsque vous ferez face au contexte véritable dont vous remarquerez surement que vous l’avez exagéré… Parce que votre préparation était parfaite. En négociation les mécanismes sont exactement les mêmes. Pourquoi ? Parce que la réponse apportée à une situation est une réponse cérébrale. Quand une menace potentielle est détectée, c’est le thalamus qui envoie des signaux à l’amygdale [3] . Ces signaux sont envoyés dans le cortex sensoriel qui interprète ces données puis vers l’hippocampe qui analyse le contexte de la situation. Et l’hypothalamus prendra la décision de la fuite ou de la lutte. Cette prise de décision dépendra de l’activation des hormones produites réparant le corps à agir. Ma préparation de la négociation a été optimale, complète, détaillée et répétée. Malgré tout, mon estomac se noue à l’approche de la salle de réunion. Je sais que mon interlocuteur sera agressif. Cela fait partie de sa personnalité. Je m’y suis préparé. Mais j’ai malgré de l’appréhension à aller discuter. Je rentre dans la salle et tout entre dans l’ordre. Bonjour, je m’assoie, je sors mes dossiers, je commence ma phrase introductive, et il agresse. Ma préparation étant parfaite, je réponds à l’agressivité. Le doute n’est plus permis. J’applique la théorie sur la gestion des personnalités difficiles. Et finalement, je me rends compte que c’était moins difficile que prévu. Pourquoi ? Parce que le retour au principe de réalité m’a permis de surmonter la peur due à la projection. Ma préparation complète m’a permis de surmonter la peur due à l’action… Et de conclure que finalement la situation n’était pas aussi difficile que ce que j’avais prévu. « Train hard, play soft », ce message a déjà été précisé lors des épisodes précédents. Mais cela explique clairement la situation. La préparation, c’est 80% du travail. Le reste, c’est de l’improvisation pour gérer l’incertitude. Comme en ultra trail.  Gérer le doute, c’est accepter l’incertitude. Gérer le doute, c’est accepter son état émotionnel à un moment donné. Arriver à surmonter la peur pour en faire un moteur et arriver à donner un sentiment positif à mes objectifs, qu’ils soient l’objet d’un négociation contentieuse avec un partenaire commercial mécontent ou qu’ils soient l’objet d’un ultra compliqué à préparer mais pour lequel, je fais face. [1] In Negociator de M. Mery et L. Combalbert ed DUNOD [2] In Le pouvoir de l’engagement de F. PIERROT ed. [3] In Mind & Body Hors série “la peur dans le cerveau".
par Mathieu Puech 28 juillet 2023
Episode 7 - Sortir de sa zone de confort
par Mathieu Puech 9 juin 2023
On ne nait pas négociateur ou ultra traileur. On le devient. - Partie 1
par Mathieu Puech 17 mai 2023
Rappelez-vous de la conclusion de l’épisode 4 : « Dans une négo comme en course de fond, c’est votre capacité à gérer vos émotions qui vous permettront de surmonter une situation difficile. C’est également le débriefing de la négociation ou de la course qui vous permettra de capitaliser sur vos succès et sur les échecs que vous avez pu subir. Chacune de ces deux histoires a fait vivre à son auteur des débordements émotionnels qu’il a fallu gérer. Cette gestion des émotions dégradées est indispensable pour maintenir la relation et arriver à l’objectif que vous vous êtes fixé. Comment cela fonctionne-t-il ? » Commençons par le début. Qu’est-ce qu’une émotion ? Et c’est déjà une question assez compliquée. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de consensus sur la définition d’une émotion. C’est pour cela que c’est difficile à définir. Les scientifiques eux-mêmes ne sont pas d’accord sur une définition collégiale de ce que doit être une émotion. Une définition désigne « un état interne qui engage le cerveau et le corps ». Cet état, possède certaines propriétés communes, peu importe la nature de l’émotion concernée. « Ces propriétés ont des fonctions importantes qui sont d’aider les organismes à prendre des décisions lors du ressenti particulier de l’émotion à un moment donné » [1] . Ainsi, c’est un état de modification corporel. C’est également un état de modification psychologique et physiologique qui est dû à un état de plaisir ou de peine. Il est le résultat d’un stimulus externe ou interne (comme un souvenir par exemple) qui renvoie à un état de plaisir ou de peine. Les émotions sont apparues au cours de l’évolution des espèces, lorsque les réflexes n’étaient plus suffisants à la survie des espèces. Leur création se place entre les réactions réflexes et le traitement cognitif complexe [2] (la pensée par exemple ou le raisonnement). C’est par ailleurs un état que l’on ne peut pas mesurer. Il n’y a pas d’instrument particulier pour mesurer une émotion. On utilise donc d’autres instruments comme par exemples les mesures comportementales. Ces mesures consistent en une observation attentive et en une quantification des réponses comportementales, telles que la fuite ou l’immobilisation lorsque l’on est soumis à un stimulus. Mais il y a d’autres données qui peuvent être prises en compte : les niveaux d’hormones de stress sécrétées dans le sang, la fréquence cardiaque, la pression artérielle (par ex lors d’examen au détecteur de mensonge), les changements de l’activité cérébrale,… Toutes ces données nous montrent que l’on change d’état interne en présence d’un stimulus et pas simplement en réponse à une réaction réflexe. Cet état de modification physiologique et/ou psychologique est quelque chose que l’on ne maitrise pas. Ca arrive quand ça arrive. 30 secondes avant, on ne sait pas encore que ça va arriver. C’est pour cela qu’une règle immuable lorsque l’on parle de gestion des émotions est que toute émotion ressentie est légitime pour celui qui la ressent. Dans l’exemple de la négociation au cours de l’épisode 4, le personnage qui participe à la négociation ne contredit pas l’état de colère de Nicolas. Au contraire, il le verbalise. Cela lui permet de montrer à son interlocuteur qu’il a compris qu’il était en colère. Cela lui permet également de le laisser répondre et de collecter de l’information. En parallèle, il gère ses émotions lui-même afin de ne pas riposter et ne pas contre-argumenter. Il sait par exemple que cela ne sert à rien de dire « arrêtez de crier ». De deux choses l’une : soit la personne en face est réellement en colère et lui demander de se calmer sera contre-productif. Soit, elle a une colère factice pour mettre la pression. Lui répondre une telle phrase ne fera que lui confirmer votre statut de « victime » et lui donnera encore un peu plus de pouvoir dominant sur vous. Au cours de l’histoire du trail, la colère vient par le jugement de soi-même. Première étape : La verbalisation. Deuxième étape : Maitrise de soi et l’ancrage à des pensées positives qui permettent de continuer d’avancer. Marathon de Prague 2023. Au 30 e kilomètre, je fais face au fameux « mur des 30 » que tout marathonien connait pendant sa vie de marathonien. Comment j’en suis sorti ? J’ai changé mon état d’esprit. Je me suis dit « pense à tes enfants, à ta femme. Pense à la bière que tu vas boire après course et au bon repas que tu vas faire avec tes copains. Ne te laisse pas submerger ». Et là, croyez-le, j’ai retrouvé le sourire. J’ai repris ma course en m’accrochant à ces pensées positives et j’ai terminé la course à bonne allure. Reprenons donc : Pour gérer ses propres émotions, il faut cumuler trois actions [3] : - Une préparation parfaite - Assurer une certaine maitrise de soi - L’observation de la partie adverse Ces trois mises en situation vont vous permettre de verbaliser votre propre émotion ou faire verbaliser les émotions de la partie adverse. Mais cela va vous demander du courage et de la prise de risque, d’affronter l’incertitude car on ne sait pas où on va, de comprendre l’autre, de ventiler ses émotions, de s’intéresser à l’autre sur sa partie moins agréable. Cela demande de la maitrise de soi car parfois, on va devoir réaliser tout cela face à quelqu’un qui sera en situation de débordement émotionnel. L’ensemble de son comportement montrera des émotions saturées qu’il (ou elle) aura du mal à maitriser. Mais il faut également de la disponibilité. Et bien souvent, lorsqu’on est dans le cadre d’une discussion difficile (en négociation ou dans une course de fond), si l’on n’a pas bien préparé sa mission, on va rester focalisé sur le contenu. C’est un peu comme si on continuait de préparer sa négociation en pleine négociation. Ainsi, nous allons être focalisé sur le message et le contenu et 90% de notre disponibilité va être centrée sur ce que l’on veut dire. Et il va nous manquer cette capacité à regarder, écouter notre interlocuteur, s’intéresser réellement à lui et être capable de capter ses signaux faibles. En course de fond, la disponibilité est primordiale. Christopher McDougall l’explique très bien : « Pense facile, léger, fluide et rapide. Commence par facile, parce que si le reste ne vient pas, c’est déjà pas si mal. Ensuite, travaille la légèreté. [...] Quand tu t’entraines au point d’oublier que tu t’entraines travaille à être fluide. Pas la peine de se presser avec le dernier point. Fais les trois premiers et tu seras rapide » [4] La phrase précédente sera impossible à appliquer si l’on n’est pas disponible pour faire ce que l’on fait. Une préparation rigoureuse vous amènera dans cet état d’esprit où vous oublierez même que vous vous entrainez. [1] In science et vie Spéciale gestion des émotions [2] In Science et vie Spéciale gestion des émotions [3] M. Mery et L. Combalbert in Negociator ed. Dunod [4] Christopher McDougall in Born to run ed. Paulsen
par Mathieu Puech 26 avril 2023
Imaginez… On est samedi matin, 9.00. Le ciel est bleu, le soleil brille. Il fait 12 degrés dehors avec une légère brise vivifiante. Vous êtes au pont d’Espagne, à Cauterets, dans les Pyrénées où vous vous apprêtez à faire un trail en mode course, partant de ce point-ci et pour aller jusqu’au refuge des Oulettes de Gaube. 700m de dénivelé positif sur 15 kms. Et vous n’avez jamais fait ça. Mais là, tout de suite, vous avez le smile. Toutes les conditions sont remplies pour que vous passiez un bon moment. En plus, vous êtes entre traileurs, des gens de votre niveau, des gens de niveau inférieur et des gens avec un niveau bien supérieur au vôtre qui tireront le groupe vers le haut pour que l’expérience soit entière. Vous partez. Petite foulée, vous vous êtes entrainés, vous savez que ça va être dur, mais l’ambiance est super. Assez rapidement, les cuisses commencent à chauffer, ça grimpe. Au bout de 30 minutes, vous commencez sérieusement à douter de votre condition physique. Vous marchez souvent. Une baisse de moral se fait sacrément sentir. D’autant que, même si vous n’êtes pas dernier, il y a Pierre, avec qui vous vous êtes entrainé qui est parti loin devant. Il a tenu. Vous sentez un peu de colère en vous, vous faisant remarquer que peut-être la préparation n’était pas suffisante. Mais vous vous accrochez. Mais ça vous ennuie… Ah ça y est… un peu de plat, vous allez pouvoir récupérer. Vous admirez le paysage. Pas trop longtemps car ça avance devant, et il ne faut pas trop se faire distancer. Le lac de Gaube, c’est vraiment trop beau… Par contre, le groupe, il avance vite… Et il reste encore la montée au refuge des Oulettes de Gaube. Et là, ce n’est pas la même histoire. Ça grimpe rude. Il faut pousser sur les cuisses, continuer de trottiner dans les faux plats montants et marcher sur les parties vraiment pentues. Vous connaissez le slogan des traileurs « si tu ne vois pas la fin de la côte, marche ». Vous transpirez à grosse gouttes. Vous commencez à en avoir un peu marre de ces défis stupides qu’on se lance entre traileurs. Et voilà que maintenant, il se met à pleuvoir !!! Alors ça, ce n’était pas prévu. En plus de la fatigue, vient la peur de glisser et d’attraper froid. Mais pourquoi donc avez-vous dit oui à cette ascension bien trop dure pour vous ? Pour le challenge… La peur est là. Il faut la gérer. Vous la gérez. La colère est là, vous la gérez. La fatigue est là, vous la gérez… C’est bientôt fini. L’ascension est bientôt finie. Restera la descente. Mais ce sera après la pause au refuge. Elle sera pas mal celle-là. Une petite crêpe aux myrtilles… C’est ça… On projette une situation positive qui va bientôt arriver pour mieux se motiver. Ca y est !!!! Vous êtes en haut. Fatigue mais dépaysement. Soulagement et retrouvailles avec les copains. Fierté d’avoir accompli un bel exploit sportif en attendant la redescente plus calme… Un véritable ascenseur émotionnel cette sortie. Imaginez maintenant… Toulouse, centre-ville. Mardi matin 9.00. Vous sortez du métro et vous vous dirigez vers le bel immeuble en briques rouges. On n’appelle pas Toulouse la ville rose pour rien. Vous avez rendez-vous avec François. C’est le commercial de CUSTOM TECH, votre client. Ce rendez-vous est une belle négociation qui s’annonce pour un gros deal qui va vous permettre, à lui seul, de remplir un tiers de vos objectifs. François est un gars sympa. Vous avez noué une belle relation avec lui. Il a confiance en vous. Vous avez préparé votre négociation. Vous avez structuré l’ensemble du contexte autour de ce deal, vous avez identifié l’acteur de la partie adverse. Vous êtes content que ce soit lui et pas Nicolas, son supérieur hiérarchique, un homme peu scrupuleux, agressif en négociation et qui vous a déjà menacé verbalement. Vous entrez dans le bâtiment. Vous passez à la réception, laissez votre carte d’identité en donnant à la dame de l’accueil le nom de François pour qu’il vienne vous chercher. C’est Fanny qui vient vous chercher. C’est l’assistante de Nicolas. Elle gère l’agenda de l’équipe. Vous n’êtes donc pas surpris qu’elle passe à la place de François qui doit vous attendre en salle de réunion. Fanny vous invite à entrer dans la salle Depardon, du nom du célèbre photographe.  Surprise… Vous êtes seul. Curieux tout de même… Vous préparez vos affaires, vous allumez votre ordinateur portable et reprenez quelques notes gardées dans votre sac au cas où. Votre mandat est bien défini, vous connaissez vos points d’entrée, vos points d’équilibre et vos points de refus pour chaque axe de discussion qui a été défini avec Claire, votre cheffe, Directrice commerciale chez SUPPLY PRO, votre société. Vous connaissez certains centres d’intérêts de François. Vous savez donc comment établir le contexte favorable au départ de la discussion. Vous entendez des pas dans le couloir. La porte s’ouvre et Nicolas entre. Seul. Visage fermé. - Bonjour, vous dit-il - Bonjour. - Alors, on signe aujourd’hui. Y’en a marre que ça traine. On a besoin de vos produits rapidement. Je pensais que François avait précisé l’urgence de la situation non ? Vous êtes un peu décontenancé… Il attaque direct. Vous n’êtes pas habitué au conflit. Vous essayez même souvent de le fuir. Ici, ce n’est pas possible. Nicolas reprend la parole : - C’est quand même un truc de fou, votre société… J’espère que vous ne gérez pas vos délais de livraison comme vous gérez le timing de la signature d’un contrat. On va peut-être insister sur la clause pénale sinon. - Ecoutez… - Non c’est vous qui allez écouter. On s’est mis d’accord sur les conditions générales. On a vu avec nos juristes respectifs. On s’est un peu saigné d’ailleurs. La clause de responsabilité, merci… Mais bon, je ne vais pas revenir dessus. Restent les prix. Vous avez une nouvelle offre ? Ca y est… La peur commence à vous nouer l’estomac. Les profils agressifs, vous les détestez. Nicolas, vous l’avez testé une fois. Vous vous étiez juré que l’on ne vous y reprendrait plus. Vous ne l’écoutez quasiment plus. La peur paralyse ou fait fuir. Vous ne pouvez pas fuir. Alors vous restez immobile. Et puis vous vous souvenez… Cette formation reçue il y a quelques mois. Maitriser sa peur, c’est accepter la réalité des faits. C’est également accepter son état émotionnel. Ok. J’y suis… Je respire longuement. Je souffle. Je reprends mes esprits. Vous pensez à vos enfants : Léo et Clara que vous reverrez ce soir… Ca va mieux… Ok… quoi faire maintenant ? Ah oui… Verbaliser les émotions de son interlocuteur. C’est gnangnan… Mais bon, vous n’avez que ça… Même si vous n’avez jamais fait, vous n’avez que ce dernier outil en tête… Vous vous lancez : - Je comprends que vous soyez en colère. - Bien sûr que je suis en colère. Ca n’avance pas. Rien n’avance. - Je comprends. Je suis justement là pour que les choses avancent. Je suis un peu surpris que François ne soit pas là, car je lui avais envoyé les éléments avec lesquels je viens pour qu’il puisse préparer la réunion. Il n’a pas dû avoir le temps de vous les transmettre. Voici donc les nouveaux tarifs proposés… - Ah ben quand même… Je prends sur moi pour répondre à cette ultime attaque. Je crains sa réaction mais là, ça suffit… - Ecoutez, vous êtes en colère, je le comprends. Maintenant, peut-on arrêter de se parler sur ce ton, sinon ça ne va pas avancer, et ce n’est pas acceptable. Je suis là avec de nombreux éléments pour que CUSTOM TECH et SUPPLY PRO continuent de faire des affaires ensemble. - Ben voilà… là, ok, avec ces éléments-là, on va pouvoir discuter… La mauvaise foi de cet homme vous étonnera toujours… Mais vous êtes arrivé à le calmer. Vous respirez mieux… Ca sert aussi à ça la verbalisation des émotions, le defusing… Vous faites votre proposition tarifaire, et là, Nicolas semble surpris. Vous sentez même qu’il feint la surprise. - Ce sont les nouveaux prix ça ? - Oui. C’est la dernière proposition, basée sur les volumes que vous nous avez communiqués et selon les conditions logistiques qui ont été convenues avec votre département. - Bizarre… Vous avez dû oublier de mettre François dans la boucle de ce truc car il ne m’a rien dit. Curieusement, vous restez assez calme. Tant que ce n’est pas agressif, la mauvaise foi, vous savez la gérer. - Hé bien écoutez, je vous propose de revenir vers moi, vous ou François dés qu’il sera de nouveau disponible. - On va faire comme ça ouais… Je vais appeler Fanny, elle va vous raccompagner. Au revoir. Il quitte la pièce sans un mot de plus et vous laisse seul, en plan. Le temps de ranger vos affaires, et Fanny arrive. Elle s’excuse au nom de François qui l’a averti pendant la réunion, qu’un de ses enfants était malade et qu’il n’a pas pu vous prévenir plus tôt. Vous passez par l’accueil, récupérez votre carte d’identité et une fois dans la rue, vous appelez votre Claire pour lui raconter. Vous en profitez pour vous lâcher contre ce Nicolas, vraiment un type pas net et qui en plus n’avait rien préparé de sa réunion, n’avait aucun mandat pour discuter. Il était juste là pour le théâtre. Ces deux heures ont quand même été un véritable ascenseur émotionnel… Dans une négo comme en course de fond, c’est votre capacité à gérer vos émotions qui vous permettront de surmonter une situation difficile. C’est également le débriefing de la négociation ou de la course qui vous permettra de capitaliser sur vos succès et sur les échecs que vous avez pu subir. Chacune de ces deux histoires a fait vivre à son auteur des débordements émotionnels qu’il a fallu gérer. Cette gestion des émotions dégradées est indispensable pour maintenir la relation et arriver à l’objectif que vous vous êtes fixé. Comment cela fonctionne-t-il ? Les explications techniques et scientifiques dans l’épisode 5…
par Mathieu Puech 11 avril 2023
« Nous connaissons parfaitement notre corps, mais nous ne savons rien de notre cerveau, et il peut nous jouer des tours. » Kilian Jornet L’incertitude, la complexité de nos relations, la multitude de solutions possibles sont les facteurs exogènes qui impactent notre prise de décision au quotidien. Notre système nerveux est le gardien du temple, c’est lui qui traite, interprète et distribue des millions de messages qui nous maintiennent en vie, qui nous font bouger, penser, réfléchir et tellement plus encore. Aujourd’hui finissons-en avec un mythe (désolé Monsieur René Descartes et votre modèle du dualisme), nos comportements ne sont pas guidés par notre conscience ou notre libre arbitre mais bien par nos émotions. Trop de livres ont donné à celles-ci une mauvaise réputation en suggérant qu’elles pouvaient être un obstacle à une bonne prise de décisions. C’est exactement l’inverse de notre point de vue. Darwin et Ekman ont mis en lumière le fait qu’elles façonnent notre perception du monde et de nous-mêmes. Les émotions influencent directement notre prise de décision. « Les humains ne sont pas des machines pensantes qui ressentent des émotions, nous sommes plutôt des machines émotionnelles qui pensent » Antonio Damasio. Afin de mieux comprendre, nous allons vous mettre en situation : Vous roulez de nuit sur une route déserte, et soudainement votre voiture tombe en panne. Vous devez chercher de l’aide parce que bien sûr, pas de réseau autour de vous. Vous vous décidez donc à partir sur la route avec tout autour de vous une forêt dense qui commence à mettre tous vos sens en alertes. Vous voilà donc dans une situation de grande complexité, car l’incertitude et le risque vous affecte. C’est à ce moment que vous commencez à entendre ses petites voix dans votre tête, l’une est rationnelle : - Tout va bien se passer, il ne peut rien m’arriver. - Je vais trouver un garagiste ouvert à 3h du matin. - Une voiture va bien finir par passer. - Est-ce que j’ai bien programmé le lave-vaisselle avant de partir ? Tandis que la seconde est beaucoup plus craintive : - C’est quoi ce bruit dans les fourrées ? Je vais quand même accélérer le pas. - J’ai comme l’impression que quelqu’un me suit. Si c’est un serial killer je suis prêt à me battre ? - Cette ombre gigantesque, ça ne serait pas un ours ? Ah oui si je croise un ours, je reste immobile et je fais le mort. Au-delà de ses questions, se pose LA question principale : Quelle décision dois-je prendre ? Et sur quelles bases dois-je la prendre ? Alors même si certains supposent que dans ce type de circonstances, leur tête ressemble à un meeting de la CGT un soir de manifestation avec autant de voix que de volontés de prendre une décision, arrêtez de compter car d’un point de vue purement scientifique, ils ne sont que deux. C’est Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie) qui l’a popularisé dans son livre « Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée ». Effectivement quand on doit décider nous n’avons pas un mais deux cerveaux : - Le cerveau primitif, nous l’appellerons Système 1 (ci-après le S1). - Le cerveau rationnel, qui sera le Système 2 (ci-après le S2). Le S1, ou l’ancien pour les intimes, nous avons la particularité de le partager avec tous les vertébrés, car ils doivent prendre des décisions pour survivre : - Je tourne à droite ? à gauche ? - Manger ? Boire ? - De quelle direction vient ce bruit ? Concrètement, le S1 fonctionne automatiquement (respiration) et rapidement (nos réflexes), avec peu d’effort et aucune sensation de contrôle délibéré. Il est impulsif, égoïste et a des convictions explicites. Représentons-le comme Tony Stark, personnage d’Iron Man dans Marvel. Les supers pouvoirs du S1 nous permettent également de détecter l’hostilité d’une voix ou d’un visage (instinct de survie). Parlons maintenant de ses points faibles : Le S1 comprend mal la logique, les statistiques et ne peut pas être débranché… Alors quand Tony Stark rencontre des difficultés à prendre des décisions, il se tourne vers J.A.R.V.I.S (Just A Rather Very Intelligent System) son intelligence artificielle qui consomme énormément d’énergie… Le S2, ou le petit jeune pour nos lecteurs, accordent de l’attention aux activités mentales contraignantes, aux calculs complexes. Son fonctionnement dans la prise de décision est souvent associé à la concentration et aux langages. Il est responsable du contrôle de soi, de la petite voix que nous prenons pour notre conscience, il nous dit quoi faire. Lors du top départ d’une course, ce S2 nous aide à nous concentrer et à être prêt à bondir des starting blocks. Dans une négociation, il va nous aider à rebondir sur une information cruciale délivrée par notre interlocuteur. Il va fouiller dans notre mémoire pour identifier un bruit, un goût particulier (la madeleine de Proust), il se focalise sur une voix particulière dans une salle comble, nous permet de s’adapter à la situation sociale autour de nous. Lors d’une course, il va nous permettre d’accélérer notre foulée naturelle. Et c’est également lui qui nous aide à remplir notre déclaration d’impôt. Vous l’avez compris c’est lui qui intervient quand l’enjeu devient complexe. Mais attention, il est fainéant et aura de la réticence à investir tout effort qui ne serait pas nécessaire. Vous comprenez maintenant pourquoi la paresse est profondément inscrite dans notre nature. Vous avez dû déjà remarquer que résoudre un problème juste avant de manger requiert beaucoup plus de volonté que si vous vous y mettiez juste après votre repas. De ce fait, essayez de planifier vos négociations après l’heure du repas. Votre interlocuteur sera plus réceptif et vous serez plus à même de vous concentrer sur l’objectif commun partagé de la négociation. Le système nerveux consomme plus de glucose que les autres organes du corps humain, et une activité continue de J.A.R.V.I.S coûte très cher en énergie. Lorsque vous courrez, vous brûlez davantage de calories à ce rythme qu’en restant assis devant votre bureau, mais vous l’avez surement remarqué, ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous courrons : - Nous ne ressentons aucune contrainte ; - Nous ne sommes tiraillés par aucun conflit ; - Nous sommes également capables de penser et de travailler en courant à notre vitesse naturelle. Clairement, cette légère activité physique nous procure une plus grande vivacité intellectuelle. Combien de fois, pendant une séance d’entrainement à la course, avons-nous trouvé une solution à un souci du quotidien qui nous bloquait dans notre prise de décision ? Cependant, il suffit qu’on accélère notre cadence pour bouleverser complétement notre état de transe. Le passage à une foulée plus rapide entraine une détérioration brutale de notre capacité à penser de manière cohérente. Quand nous effectuons des séances fractionnées, notre attention se tourne de plus en plus vers notre montre et le maintien du rythme élevé. Outre l’effort physique que nécessite le déplacement rapide de notre corps, un effort mental de contrôle de soi est nécessaire pour résister à l’envie de ralentir. En négociation, nous l’appelons l’effet tunnel, notre esprit est embrouillé et n’arrive plus à traiter toutes les informations que nous recevons. Voici une raison d’être toujours accompagné par un binôme pour garder une vue d’ensemble de la discussion. « La nature a soumis l’humanité au gouvernement de deux maîtres souverains, la douleur et le plaisir. C’est à eux seuls qu’il revient de nous indiquer ce que nous devrions faire, ainsi que de déterminer ce que nous allons faire. » Jeremy Benthman. La divergence entre la prise de décision et l’expérience, nous entraine à renouveler nos erreurs passées. C’est pour cela qu’en formation à la négociation, nous insistons grandement sur l’importance du débriefing. C’est lui qui façonne l’expertise. Nos goûts et nos décisions sont façonnés par nos souvenirs, mais ces derniers peuvent être erronés. Nous voulons que la douleur soit brève et que le plaisir dure. Notre mémoire se souviendra le moment le plus intense d’un pic de douleur ou de plaisir et les sentiments éprouvés quand l’épisode est arrivé à la fin. Le plaisir de terminer une course extrême prendra le dessus sur la douleur perçue durant la course. « Dans 40 ans, je ne me souviendrai plus si je suis arrivé premier ou deuxième, je me souviendrai des émotions que j’ai ressenties… » Kilian Jornet Le contrôle de soi et l’effort cognitif sont l’un et l’autre une forme de travail mental. Plus nous sommes stimulés par une tache compliquée plus nous sommes tentés de céder à la tentation. Le S1 a plus d’influence sur notre comportement quand S2 est occupé. Le contrôle de soi est vraiment fatiguant. Si nous nous forçons à faire quelque chose, nous serons moins enclins à exercer le même contrôle quand surviendra le défi suivant (épuisement de l’égo). Notre vision du monde est personnelle, elle vient de notre éducation, de notre environnement socioculturel et de nos expériences passées. Nous réagissons tous différemment face aux personnes qui sont en face de nous. Nous devons alors nous adapter (s’adapter à l’autre) et canaliser notre comportement pour ne pas envenimer la situation. C’est à ce moment-là qu’il faut être en fort (en négociation) pour ne pas basculer et pour garder sa lucidité. Cette canalisation du comportement passe par la pratique. La pratique passe par l’apprentissage. L’apprentissage passe par le debriefing. Le débriefing qu’il soit suite à une négociation ou quelques jours après une course à pied nous permet de mieux apprendre de ce qui a été vécu. Et capitaliser sur cet apprentissage permettra de créer des automatismes qui feront moins travailler l’activité cérébrale. Comme le précise Jean Philippe LACHAUX, directeur de recherche INSERM au centre de recherches en neurosciences de Lyon, « le stress est mauvais pour le self control. Un stress élevé est en effet perçu comme un signal de danger pour le cerveau qui, en réponse, cherche à gagner du temps. Les hormones du stress, tel que le cortisol, participent à un système qui court-circuite le système de frein, ce qui inhibe la maitrise de soi et favorise les automatismes. Mieux vaut alors avoir de bons schémas d’actions programmés, pour savoir répondre aux situations stressantes. Et ne pas hésiter à ralentir, pour éviter la fuite en avant des automatismes et rétablir consciemment une sorte de frein à main » [1] . Quand nous négocions, notre partie analytique décode notre conversation (J.A.R.V.I.S) ; or uniquement Tony Starck décidera de se mettre en action. Lorsque les deux tombent d’accord, tout se passe pour le mieux. Cependant lorsqu’il n’y a pas d’accord, l’inconscient (Tony Starck) prendra toujours la décision finale. Prenons cette énigme pour exemple, ne tentez pas de la résoudre mais juste de suivre votre intuition : Une feuille et un stylo coutent 1,10 euros. Le stylo coute 1 euro de plus que la feuille. Combien coûte la feuille ? En une fraction de seconde un chiffre est apparu : 10. La feuille coute 10 centimes. Si vous faites le calcul avec la feuille à 10 centimes, le montant total sera de 1,20 euros et non 1,10 euros. La bonne réponse est 5 centimes. Ceux qui ont trouvé le bon chiffre, ont réussi à résister à leur intuition. Voici une raison de bien préparer sa négociation, car le cerveau primaire est intuitif et impulsif et a tendance à dire la première chose qui lui vient à l’esprit, alors que le cerveau rationnel est capable de raisonner. Mais chez certain il est paresseux. Le monde n’est pas aussi logique que nous le pensons. Sa cohérence provient essentiellement de la façon qu’a notre esprit de fonctionner. On ne nait pas Super Héros pour la négociation ou la course, on le devient à force de pratique, de répétition d’expérience et de travail. Alors si Tony Starck prend régulièrement le dessus sur J.A.R.V.I.S, nous pouvons parler du droit d’ainesse . En effet le cerveau primitif a plus de 500 millions d’années. C’est lui qui a permis à nos ancêtres de survivre en milieu hostile. La réaction de lutte, de fuite ou d’immobilisation est la réaction naturelle de notre corps face à un danger. Plus précisément, la lutte ou la fuite est une réaction de défense active qui consiste à se battre ou à fuir. On parle d'immobilité réactive (réaction face à une surprise ou face à une situation effrayante) ou d'immobilité attentive (le lapin face aux phares d’une voiture). Elle implique des changements physiologiques similaires (augmentation du rythme cardiaque, tous vos sens en alertes), mais vous restez complètement immobile et vous vous préparez à l'action suivante. Lors d’une négociation, la gestion d’un profil complexe requiert deux compétences inamovibles : la capacité à travailler sur soi et la capacité à travailler sur l’autre. Si l’une flanche, l’autre suivra. Face à l’incertitude, ces réactions psychologiques et désagréables se déclenchent automatiquement. La capacité à travailler sur soi repose sur cinq grandes étapes [2] : - Identifier - S’intéresser, - Comprendre - Accepter - Agir Comme aucune interaction n’est semblable, la prise de décision dépend de vous, en fonction de votre perception. Vous pouvez remercier votre œil et votre nerf optique (physiquement connecté au cerveau primitif) qui détectent toutes les émotions de votre interlocuteur. Notre vision est le principal canal grâce auquel nous percevons le monde et les émotions des personnes qui nous entourent. Aucun sens n’est plus dominant que celui de la vue (30% de nos neurones sont visuels). « Le dialogue devrait simplement être une musique parmi d’autres, un simple son sortant de la bouche d’acteurs dont les yeux racontent l’histoire en termes visuels » Alfred Hitchcock Et quel âge pour le S2 ? Seulement 5 millions d’années, son apparition intervient lorsque l’Homme a eu besoin de communiquer et de d’affirmer son besoin de confort (allumer un feu, dessiner sur les murs, créer des liens sociaux pour augmenter les chances à la chasse…). Vous l’aurez compris les émotions jouent un rôle essentiel dans la capacité de déclencher les décisions, nous pouvons les considérer comme le carburant de base. Sans émotions, pas de rétention, et donc pas de décisions. Nous avons essayé de décrire le fonctionnement de l’esprit comme une interaction difficile entre deux Avengers : Tony Starck l’automatique et J.A.R.V.I.S le conseiller fidèle. Vous connaissez un peu mieux leur particularité et vous pouvez prédire comment ils vont réagir suivant les situations. Le S2 est un peu la personne que nous souhaitons être, il articule nos jugements et fait des choix mais il rationalise régulièrement les idées et les sentiments engendrés par le S1. Nous commettons des erreurs parce que nous (J.A.R.VI.S n’a pas toujours les réponses) ne savons pas quoi faire d’autre. Tandis que le S1 est certes à l’origine de beaucoup de nos manquements, mais aussi de la plupart de nos réussites (l’essentiel de nos activités). Le tout est d’étudier les résultats de nos prises de décisions afin que les décisions futures soient basées sur les résultats passés (qu’ils soient positifs ou négatifs). Nos pensées et nos actes sont majoritairement guidés par notre cerveau primitif, la mémoire contient tout le répertoire de nos compétences acquises au fil d’une vie de pratique. Elles produisent des solutions appropriées à nos défis quotidiens, qu’il s’agisse de contourner une pierre sur un chemin ou d’éviter la colère d’un client mécontent des services vendus. Alors avez-vous encore des doutes sur l’importance du débriefing (à chaud et à froid) après chaque négociation et course ? [1] In Sciences et Avenir Avril 2023 « Il faut savoir opter pour le bon niveau de contrôle de soi » [2] In « Comment neutraliser les profils complexes » par M. Mery et L. Combalbert éd. Eyrolles
par Mathieu Puech 29 mars 2023
Un jour, je négocie un contentieux avec un fournisseur de mon client. 1 er round de négociation. La partie adverse affirme sa position. Nous la refusons. Nous lui faisons part de la nôtre. La partie adverse la refuse en bloc également. On se quitte en se disant que chacun va étudier la question en interne et on se rappelle la semaine prochaine. On raccroche. Débrief avec ma N1 et cette dernière me dit : - Bon… On peut appeler ça un échec non ? - Hé bien non… C’est un premier round de négociation. Et je savais qu’on n’allait pas être d’accord. C’est normal. On vient chacun avec une position affirmée sur un délai de conversation très court (30 min de conversation, ça va très vite). Il était impossible que le deal soit conclu sur ce round-là. Pourquoi ? Parce qu’une négociation, cela prend du temps. Et la préparation de cette dernière en prend encore plus. J’affirmerai même que plus la préparation est longue, plus la négociation sera courte. On en revient à l’adage anglais « train hard, play soft ». Le parallèle à faire avec la course à pied est assez simple à réaliser : A entrainement difficile, course facile. Un marathon en 4h semble être le graal de tout marathonien débutant. Mais cela ne se fait pas comme ça. Une préparation marathon, c’est 3 à 4 séances par semaine avec des séances courtes, des séances longues le week-end, des séances ou l’on va faire des programmes de seuil, du fractionné, du travail de côte, des séances faciles et d’autres particulièrement ardues. Mais tout ça pour quoi ? Pour que le jour J, on se sente prêt. Qu’est-ce qui fait que l’on se sent prêt pour affronter le jour J ? C’est une sensation à la fois euphorique de se dire qu’on est content d’être là où on est et à la fois un peu stressante qui vous confirme que vous allez faire quelque chose de compliqué. Le stress, on en reparlera plus tard. On verra ses aspects neurologiques, psychologiques et physiologiques. Ce n’est pas le propos aujourd’hui. La clé pour une négociation réussie « préparer, préparer, préparer » disait Roger FISHER, auteur reconnu sur le sujet. Préparer, c’est anticiper. Comment se prépare-t-on à un marathon ? Un programme d’entrainement de 12 semaines. Comment se prépare-t-on à un ultra trail ? Avec un programme encore plus long. Comment se prépare-t-on à une négociation ? D’abord, le contexte. La structuration du contexte passe par une phase primordiale, lors de la préparation d’une négociation : la collecte d’information. Et les premières informations que vous devrez collecter sont les informations relatives à la partie qui vous fait face : Qui est cette partie adverse ? Je dois la connaitre dans les moindres détails : Données économiques, commerciales, sociales, stratégiques, produits, géographiques… Qui est notre interlocuteur ? Que représente-t-il ? Quel type d’acteur est-il ? Quel type de personnage joue-t-il ? Comment se comporte-t-il ? Comment se positionne-t-il ? Quel est son intérêt à négocier avec moi ? Quel est son besoin ? Ce besoin intrinsèque au-delà duquel il ne négociera JAMAIS ? Que dois-je savoir pour aller le chercher, le deviner, l’analyser ? Quel est l’historique de ma relation avec lui ? Quel est la nature de nos relations ? Et votre décideur ? Quel est SON besoin propre ? Au-delà de quel point il ne voudra rien négocier ? Pour quelles raisons ? Est-ce personnel ? Est-ce un problème lié à lui ou à sa société ? Dans quelle mesure dois-je dévoiler ses aspirations secrètes à mon interlocuteur qui peut-être les utilisera contre moi ? Comment dois-je me positionner vis-à-vis de lui ? Toutes les questions concernant votre décideur doivent trouver une réponse. C’est en le connaissant mieux que vous pourrez mieux prendre la négociation à son compte. Pour préparer une course, cette analyse doit également se faire : Quelles sont mes données physiologiques de départ ? De quoi suis-je capable sans préparation ? De quoi suis-je capable seul ? et accompagné ? Quel type de programme d’entrainement me conviendrait ? Faut-il que je travaille ma VMA ? Ou plutôt que je focalise sur mes sorties longues ? Faut-il que je me renforce musculairement ? Faut-il que je me concentre sur mon travail de cotes ? Mais ai-je des cotes non loin de chez moi ? Comment sont-elles ? Longues ? courtes ? Escarpées ? bétonnées ? Comment concilier vie personnelle (familiale) avec une préparation rigoureuse ? Sorties le midi ? Le soir ? le week-end ? On ne part pas sur une course engageante physiquement si on ne se connait pas un minimum… Ou un maximum. Sinon, on part droit à l’abandon, voire pire… La blessure. Inimaginable !! Tout coureur connait parfaitement cette frustration de la blessure obligeant à arrêter net une course. Mais double peine : on est également arrêté pour les 3 prochaines semaines minimum !!! « Par nature, un ultra est une équation binaire faite d’une foule de questions auxquelles on doit répondre par oui ou par non. Faut-il manger maintenant ou attendre ? Profiter de la descente pour accélérer ou préserver les quadriceps ? Trouver ce qui frotte dans la chaussette ou continuer ? Les distances extrêmes exacerbent tous les problèmes (une ampoule devient vite une chaussette gorgée de sang, une barre énergétique oubliée et les vertiges vous empêchent de suivre les balises), une seule erreur peut donc ruiner toute une course » [1] . Un échec en négociation, la double peine est la même. La frustration de ne pas avoir été compris, de n’avoir pas réussi à surmonter le conflit parce que certaines données n’ont pas été préparées correctement est immense. En parallèle, il faut subir la sanction de l’échec de la négociation avec l’arrêt du projet, le feedback négatif des équipes, la mauvaise image générée auprès de la partie adverse… Voire, la création d’un rapport défavorable si vous étiez amené à vous revoir. L’état d’esprit dans lequel on se trouve pendant la préparation est également important. En effet, plus la préparation d’une course avance, plus l’excitation augmente. L’échéance approche. L’entrainement se durcit. On commence à voir les effets positifs sur son corps, son mental, sa capacité à endurer les épreuves. Plus la préparation d’une négociation avance et plus les stratégies s’affinent avec le décideur. On décide des tactiques à mettre en place, des techniques à utiliser le jour J lorsqu’on fera face à son interlocuteur. On va également répéter ce que l’on va dire. Cela va nous permettre de préparer nos réponses, affiner le mandat de négociation vu avec notre décideur. Si toute cette phase de préparation est négligée, on part à l’échec. La préparation se doit d’être rigoureuse, détaillée, difficile et performante. Mais cette rigueur ne doit pas être rigide. Franck PIERROT définit cela très bien : « La rigueur permet de suivre un protocole pour ne pas perdre de temps à se rappeler ce que l’on a pu oublier dans la phase précédant l’action […]. La rigidité représente le contraire. Les personnes rigides dépensent leur énergie à appliquer les règles par principe, sans chercher à comprendre si elles sont toujours valables dans la situation donnée. Elle empêche de sortir du cadre et a pour conséquence de casser toute forme de dynamiques et d’initiatives » [2] . Cela équivaut à anticiper sans bloquer. Alain LEMPEREUR et Aurélien COLSON l’expliquent très bien : « La préparation ne doit pas pour autant faire verser la négociation dans le positionnalisme. Elle sert à formuler des hypothèses de travail, en l’absence de l’autre négociateur, et non à forger une position à lui imposer » [3] . La rigueur permet de se préparer au mieux lorsque le jour J il faudra faire face à son interlocuteur. L’absence de rigidité dans votre comportement vous permettra de faire face à l’incertitude lorsque la situation mettra en place des imprévus qui n‘avaient pas été planifiés. La rigueur vous permettra de développer votre assertivité face à votre interlocuteur. Une préparation non rigide vous permettra de vous adapter en fonction du comportement de ce dernier, surtout si vous faites face à une personnalité complexe. La rigueur d’une préparation vous permettra de suivre un plan détaillé, exigeant et performant. Votre capacité d’adaptation vous permettra de vous adapter à votre environnement de travail (chemins cabossés, villes avec des feux rouges, des passages piétons ou des voitures qui ne vous laissent pas passer,…). Enfin, dans une négociation, on a besoin d’être disponible pour l’autre. On en reparlera en détail lorsque nous détaillerons l’importance de la gestion des émotions. Sans préparation, pas de disponibilité. On va perdre son temps à se focaliser sur notre message et pas sur les réactions de notre interlocuteur. Pour une course, l’enjeu est le même : Assurer une course dans de bonnes conditions, c’est être disponible pour soi-même afin de se concentrer sur ses propres réactions. Un ultra, c’est long, c’est exigeant, c’est physiquement éprouvant. Une préparation bâclée, vous aurez le souffle coupé rapidement, vous n’aurez plus les jambes qui suivent et vous allez vous arrêter. Dommage… Une bonne négociation, c’est 70% de préparation, 30% de négociation en live. Ne négligez pas cette étape. [1] In « Born to run » de Christopher McDougall éd Paulsen [2] In « Le pouvoir de l’engagement » Franck PIERROT éd. ALISIO [3] In « Méthode de négociation » A. LEMPEREUR et A. COLSON éd. DUNOD
par Mathieu Puech 15 mars 2023
Courir. Négocier. Deux vocables qui n’ont à priori rien en commun. Je cours, je cours, je cours… Un pas après l’autre, un chemin après l’autre, un obstacle après l’autre ; Je ne fuis rien, ou parfois très peu. Je cours simplement pour me retrouver seul face à la nature et face à mes propres enjeux, mes objectifs personnels, mon envie de négocier avec moi-même, me dépasser et d’aller voir au-delà de certaines limites. Ce sentiment d’aller toucher ses limites (parfois extrêmes), les dépasser, et comprendre pourquoi j’aime aller si loin. Ce sentiment de faire face à l’incertitude face à un chemin périlleux, une course trop longue ou une côte vraiment difficile, je le retrouve également ou quotidiennement en négociation. Là aussi, je suis sur un terrain parfois glissant, je fais face à mon interlocuteur, peu compréhensif de ma situation, et parfois même peu compréhensif de la sienne. Et il faut avancer. Un pas après l’autre, un chemin après l’autre, un obstacle après l’autre. Et là aussi, faire face à ses enjeux, ses besoins, ses objectifs, ses incertitudes et trouver la solution qui conviendra à l’ensemble des parties prenantes à la discussion. Je m’appelle Mathieu PUECH, je suis négociateur privé. Je m’appelle Adrien DECHEIX, je suis directeur commercial. Et nous sommes tous deux coureurs. Marathoniens et ultratraileurs. Lors de diverses séances de préparation physique , nous nous sommes rendu compte que les étapes qui mènent à une négociation (commerciale, juridique, contentieuse …) et les étapes de préparation d’une course longue avaient plusieurs points communs. Plus encore… La capacité de conduire une négociation et de réaliser une course longue distance (un trail ou un ultra) et ce malgré une bonne préparation, dépend de notre aptitude à gérer plusieurs concepts que les deux sujets ont en commun. Il nous est alors venue l’idée de compiler les sujets des deux activités afin d’en extraire les similitudes, les différences, les rapprochements ou les antagonismes. En plusieurs épisodes, nous aimerions vous faire découvrir les liens entre ces deux univers : la maitrise de ses émotions, la gestion de l’incertitude, la curiosité, la résilience, mais également des sujets plus techniques comme le fonctionnement du cerveau en situation dégradée… La théorie sera illustrée par des exemples pratiques, issus de notre propre expérience, mais également de témoignages divers recueillis pour la rédaction de cette série d’épisodes. Des anonymes ou non viendront nous expliquer leur ressenti pendant la préparation et l’accomplissement d’une course longue. D’autres viendront témoigner de leur expérience de négociateurs. Et nous montreront que les deux sujets sont liés par un ensemble de points communs que l’on n’aurait pas imaginé au départ d’une discussion.  Bienvenu sur notre chemin… une ligne de départ, une ligne d’arrivée et entre ces deux points, un parcours semé d’embuches que la technique, la stratégie, la force mentale et physique ou encore la force du collectif nous permettront de surpasser afin d’atteindre le résultat espéré.
par Mathieu Puech 15 mars 2023
Si nul ne peut présager de l’avenir, on peut au minimum espérer le meilleur, mais on peut surtout se préparer au pire. Nous n’allons pas revenir sur les évènements de ses dernières années, qui nous ont démontré que rien n’est acquis, et que l’avenir est et restera flou. Le General de Gaulle disait « »[1] . Les hommes politiques sont souvent les premiers à nous promettre un avenir meilleur (fin de la crise, augmentation du pouvoir d’achat…), mais expliquez-nous comment font-ils pour prédire des scénarii, comment avec l’appui de la technologie et de grands cabinets de conseils, ils arrivent à prévoir une vision imprécise de ce qui sera notre futur. Une solution s’offre alors à nous : au lieu de rester observateur, d’essayer de comprendre ou essayer d’anticiper, pourquoi ne pas tenter de devenir acteur du nouveau blockbuster : l’inattendu. Dans une négociation ou dans une course, c’est la même chose. Jamais au grand jamais notre plan initial ne se déroule comme prévu (et heureusement je vous le dirais). Le grand stratège Winston Churchill disait : « Ceux qui planifient font mieux que ceux qui ne planifient pas, même s’ils s’en tiennent rarement à leur plan ». Donnez-nous un exemple de votre vie, où aucun imprévu n’est venu modifier votre plan d’action, et où vous n’avez pas dû adapter votre comportement à ses évènements fortuits. Effectivement, nous nous baladons chaque jour entre ses deux notions, l’improvisation et le planning. Lors d’une négociation ou d’une course, admettez que vous improvisez car vous avez beau avoir pu penser à tous les plans possibles (A, B, C …), ils vont pour la plupart tous planter, car dans beaucoup de cas de figure, aucun des imprévus/aléas n’ont été pensés en amont. Alors revenons sur la définition exacte de l’inattendu dans le dictionnaire : « À quoi on ne s'attendait pas » [2] . Précis mais un peu vague pour définir les prochains articles qui suivront dans les prochains mois. Nous prendrons donc comme référence les travaux de Philippe Gabillet, Professeur de Psychologie, auteur et conférencier. Pour lui, l’inattendu c’est : 1. Un évènement fortuit, exemple 2. Un évènement que l’on n’avait pas lieu d’attendre 3. Un évènement qui nous déconcerte, et pourquoi il nous déconcerte ? 4. Parce qu’il nous prend par surprise. La surprise est l’une des 6 émotions universelles, elle est particulière car c’est la seule qui est neutre et ne reste pas dans la durée. Elle prend son sens à partir de l’émotion qui la suivra. Nous reviendrons prochainement sur les émotions et plus particulièrement sur leur gestion dans une course ou dans une négociation. Continuons ensuite sur les lois de l’inattendu afin de parfaire notre compréhension du sujet. L’inattendu n’est pas l’imprévisible. Prenons l’ultra trail de la SaintéLyon (une course de nuit en plein mois de décembre) comme exemple. Chaque année, on peut entendre : « préparez-vous au froid et surement à la pluie ». De ce fait l’inattendu favorise les esprits préparés et à l’écoute sinon il se transforme en stupeur. L’inattendu est un révélateur et un accélérateur, il propose la clé qui va ouvrir la porte devant nous. Par définition, on ne peut pas anticiper l’inattendu. MAIS on peut préparer les terrains sur lesquels il risque de venir. On en parlera lors de l’épisode sur l’importance de la préparation. Maintenant énumérons les ingrédients de l’inattendu. Nous avons les rencontres, les bonnes comme les mauvaises. Nous recevons également des informations : « Celui qui détient l'information, détient le pouvoir. Celui qui l'entretien, détient le monde. » Adam Smires. Sur le chemin de l’inattendu, nous allons découvrir des territoires insoupçonnés (appétence aux conflits, empathie, maitrise émotionnelle, compréhension des facteurs de stress). On nous proposera également des demandes fortuites (utilisation de l’intuition ? Importance du facteur chance ? Gestion de l’échec ?), on fera face à des turbulences (neige, pluie, boue lors d’une course). On va faire face à des accidents (mail envoyé à une mauvaise personne) et finalement (heureusement) si nous savons provoquer la chance (peut être un article ?), nous recevrons des opportunités providentielles (recevoir un mail qui ne nous était pas destiné). « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés. » Louis Pasteur Et si en fin de compte nous acceptions l’inattendu ? Jean D’Ormesson déclarait « Tout le bonheur du monde est dans l'inattendu » [3] . Il va révéler notre personnalité, nous mettre en action avec le réel et nous sommes parfois beaucoup plus libre que nous le croyons face à celui-ci. Réjouissons-nous qu’il arrive dans nos négociations ou nos courses, car cela veut dire qu’il va se passer des choses. Faisons preuve de vigilance sur nos zones à risques et nos vulnérabilités. Il est important de connaitre nos faiblesses pour pouvoir en faire quelque chose et donc de ne pas se faire surprendre. (relative légèreté de notre service IT, un contrat qui devait être signé le dernier jour du trimestre pour faire les objectifs, n’a pu être éditer pour cause de maintenance…). Durant votre préparation, nous devons travailler sur une visualisation (projection mentale, ligne de mire), afin de connaitre ou nous allons poser les pieds. Pour appâter l’inattendu, donnons-lui une direction, nourrissons-le avec nos savoirs, nos apprentissages. Ensuite, osons l’improvisation et l’agilité , en envisageant des contre-mesures afin de libérer de la bande passante. Tenons-nous prêt à tirer partie des événements imprévus. Mais attention, n’improvisons que si nous avons été préparés à le faire. Prenons pour exemple les caractéristiques du commercial moderne et d’une visite réussie : · Il sait présenter avec les supports reçus du service marketing · Il est à l’écoute de son vis-à-vis · Il ne force pas la discussion dans une direction · Il sait rebondir sur ce que le client lui donne Enfin, osons saisir le moment favorable. L’inattendu est une question de timing, et ce qui n’était pas prévu au départ peut devenir une opportunité sur le moment présent. En négociation, comme dans une course et contrairement aux idées reçues, le premier travail consiste à réaliser un travail sur soi et non sur l’autre. Si nous ne pouvons pas livrer toutes les batailles, on peut se préparer au mieux à faire face à l’inattendu. Se préparer à affronter celui-ci, c’est aller chercher le meilleur de soi-même pour faire changer le cours des choses. Dans les prochains articles nous tenterons d’expliquer plusieurs mécanismes scientifiques (vitesse de la pensée humaine), de donner des outils pour mener à bien une préparation technique (analyse du contexte, cartographie, stratégies et tactiques)  Pour conclure, posons-nous la question suivante : Et si, pour attirer les opportunités inattendues, nous commencions par en devenir une, nous-mêmes ? [1] Vœux du 31 décembre 1967 [2] Définition du Petit Robert [3] https://www.liberation.fr/livres/2000/12/23/good-morning-liberation_348936/
Share by: