Un jour, je négocie un contentieux avec un fournisseur de mon client. 1er round de négociation. La partie adverse affirme sa position. Nous la refusons. Nous lui faisons part de la nôtre. La partie adverse la refuse en bloc également. On se quitte en se disant que chacun va étudier la question en interne et on se rappelle la semaine prochaine. On raccroche. Débrief avec ma N1 et cette dernière me dit :
- Bon… On peut appeler ça un échec non ?
- Hé bien non… C’est un premier round de négociation. Et je savais qu’on n’allait pas être d’accord. C’est normal. On vient chacun avec une position affirmée sur un délai de conversation très court (30 min de conversation, ça va très vite). Il était impossible que le deal soit conclu sur ce round-là.
Pourquoi ? Parce qu’une négociation, cela prend du temps. Et la préparation de cette dernière en prend encore plus. J’affirmerai même que plus la préparation est longue, plus la négociation sera courte. On en revient à l’adage anglais « train hard, play soft ».
Le parallèle à faire avec la course à pied est assez simple à réaliser : A entrainement difficile, course facile. Un marathon en 4h semble être le graal de tout marathonien débutant. Mais cela ne se fait pas comme ça. Une préparation marathon, c’est 3 à 4 séances par semaine avec des séances courtes, des séances longues le week-end, des séances ou l’on va faire des programmes de seuil, du fractionné, du travail de côte, des séances faciles et d’autres particulièrement ardues. Mais tout ça pour quoi ? Pour que le jour J, on se sente prêt.
Qu’est-ce qui fait que l’on se sent prêt pour affronter le jour J ? C’est une sensation à la fois euphorique de se dire qu’on est content d’être là où on est et à la fois un peu stressante qui vous confirme que vous allez faire quelque chose de compliqué. Le stress, on en reparlera plus tard. On verra ses aspects neurologiques, psychologiques et physiologiques. Ce n’est pas le propos aujourd’hui.
La clé pour une négociation réussie « préparer, préparer, préparer » disait Roger FISHER, auteur reconnu sur le sujet. Préparer, c’est anticiper.
Comment se prépare-t-on à un marathon ? Un programme d’entrainement de 12 semaines.
Comment se prépare-t-on à un ultra trail ? Avec un programme encore plus long.
Comment se prépare-t-on à une négociation ?
D’abord, le contexte. La structuration du contexte passe par une phase primordiale, lors de la préparation d’une négociation : la collecte d’information. Et les premières informations que vous devrez collecter sont les informations relatives à la partie qui vous fait face : Qui est cette partie adverse ? Je dois la connaitre dans les moindres détails : Données économiques, commerciales, sociales, stratégiques, produits, géographiques… Qui est notre interlocuteur ? Que représente-t-il ? Quel type d’acteur est-il ? Quel type de personnage joue-t-il ? Comment se comporte-t-il ? Comment se positionne-t-il ? Quel est son intérêt à négocier avec moi ? Quel est son besoin ? Ce besoin intrinsèque au-delà duquel il ne négociera JAMAIS ? Que dois-je savoir pour aller le chercher, le deviner, l’analyser ? Quel est l’historique de ma relation avec lui ? Quel est la nature de nos relations ?
Et votre décideur ? Quel est SON besoin propre ? Au-delà de quel point il ne voudra rien négocier ? Pour quelles raisons ? Est-ce personnel ? Est-ce un problème lié à lui ou à sa société ? Dans quelle mesure dois-je dévoiler ses aspirations secrètes à mon interlocuteur qui peut-être les utilisera contre moi ? Comment dois-je me positionner vis-à-vis de lui ?
Toutes les questions concernant votre décideur doivent trouver une réponse. C’est en le connaissant mieux que vous pourrez mieux prendre la négociation à son compte.
Pour préparer une course, cette analyse doit également se faire : Quelles sont mes données physiologiques de départ ? De quoi suis-je capable sans préparation ? De quoi suis-je capable seul ? et accompagné ? Quel type de programme d’entrainement me conviendrait ? Faut-il que je travaille ma VMA ? Ou plutôt que je focalise sur mes sorties longues ? Faut-il que je me renforce musculairement ? Faut-il que je me concentre sur mon travail de cotes ? Mais ai-je des cotes non loin de chez moi ? Comment sont-elles ? Longues ? courtes ? Escarpées ? bétonnées ? Comment concilier vie personnelle (familiale) avec une préparation rigoureuse ? Sorties le midi ? Le soir ? le week-end ?
On ne part pas sur une course engageante physiquement si on ne se connait pas un minimum… Ou un maximum. Sinon, on part droit à l’abandon, voire pire… La blessure. Inimaginable !! Tout coureur connait parfaitement cette frustration de la blessure obligeant à arrêter net une course. Mais double peine : on est également arrêté pour les 3 prochaines semaines minimum !!!
« Par nature, un ultra est une équation binaire faite d’une foule de questions auxquelles on doit répondre par oui ou par non. Faut-il manger maintenant ou attendre ? Profiter de la descente pour accélérer ou préserver les quadriceps ? Trouver ce qui frotte dans la chaussette ou continuer ? Les distances extrêmes exacerbent tous les problèmes (une ampoule devient vite une chaussette gorgée de sang, une barre énergétique oubliée et les vertiges vous empêchent de suivre les balises), une seule erreur peut donc ruiner toute une course »[1].
Un échec en négociation, la double peine est la même. La frustration de ne pas avoir été compris, de n’avoir pas réussi à surmonter le conflit parce que certaines données n’ont pas été préparées correctement est immense. En parallèle, il faut subir la sanction de l’échec de la négociation avec l’arrêt du projet, le feedback négatif des équipes, la mauvaise image générée auprès de la partie adverse… Voire, la création d’un rapport défavorable si vous étiez amené à vous revoir.
L’état d’esprit dans lequel on se trouve pendant la préparation est également important. En effet, plus la préparation d’une course avance, plus l’excitation augmente. L’échéance approche. L’entrainement se durcit. On commence à voir les effets positifs sur son corps, son mental, sa capacité à endurer les épreuves.
Plus la préparation d’une négociation avance et plus les stratégies s’affinent avec le décideur. On décide des tactiques à mettre en place, des techniques à utiliser le jour J lorsqu’on fera face à son interlocuteur. On va également répéter ce que l’on va dire. Cela va nous permettre de préparer nos réponses, affiner le mandat de négociation vu avec notre décideur. Si toute cette phase de préparation est négligée, on part à l’échec.
La préparation se doit d’être rigoureuse, détaillée, difficile et performante. Mais cette rigueur ne doit pas être rigide. Franck PIERROT définit cela très bien : « La rigueur permet de suivre un protocole pour ne pas perdre de temps à se rappeler ce que l’on a pu oublier dans la phase précédant l’action […]. La rigidité représente le contraire. Les personnes rigides dépensent leur énergie à appliquer les règles par principe, sans chercher à comprendre si elles sont toujours valables dans la situation donnée. Elle empêche de sortir du cadre et a pour conséquence de casser toute forme de dynamiques et d’initiatives »[2].
Cela équivaut à anticiper sans bloquer. Alain LEMPEREUR et Aurélien COLSON l’expliquent très bien : « La préparation ne doit pas pour autant faire verser la négociation dans le positionnalisme. Elle sert à formuler des hypothèses de travail, en l’absence de l’autre négociateur, et non à forger une position à lui imposer »[3].
La rigueur permet de se préparer au mieux lorsque le jour J il faudra faire face à son interlocuteur. L’absence de rigidité dans votre comportement vous permettra de faire face à l’incertitude lorsque la situation mettra en place des imprévus qui n‘avaient pas été planifiés.
La rigueur vous permettra de développer votre assertivité face à votre interlocuteur. Une préparation non rigide vous permettra de vous adapter en fonction du comportement de ce dernier, surtout si vous faites face à une personnalité complexe.
La rigueur d’une préparation vous permettra de suivre un plan détaillé, exigeant et performant. Votre capacité d’adaptation vous permettra de vous adapter à votre environnement de travail (chemins cabossés, villes avec des feux rouges, des passages piétons ou des voitures qui ne vous laissent pas passer,…).
Enfin, dans une négociation, on a besoin d’être disponible pour l’autre. On en reparlera en détail lorsque nous détaillerons l’importance de la gestion des émotions. Sans préparation, pas de disponibilité. On va perdre son temps à se focaliser sur notre message et pas sur les réactions de notre interlocuteur. Pour une course, l’enjeu est le même : Assurer une course dans de bonnes conditions, c’est être disponible pour soi-même afin de se concentrer sur ses propres réactions. Un ultra, c’est long, c’est exigeant, c’est physiquement éprouvant. Une préparation bâclée, vous aurez le souffle coupé rapidement, vous n’aurez plus les jambes qui suivent et vous allez vous arrêter. Dommage…
Une bonne négociation, c’est 70% de préparation, 30% de négociation en live. Ne négligez pas cette étape.
[1] In « Born to run » de Christopher McDougall éd Paulsen
[2] In « Le pouvoir de l’engagement » Franck PIERROT éd. ALISIO
[3] In « Méthode de négociation » A. LEMPEREUR et A. COLSON éd. DUNOD
Nous appeler : 06 77 79 07 96